Bâtir une identité

Identité et démocratie en Côte d’Ivoire

«Monument aux morts» édifié par Gbagbo Laurent et saccagé par les partisans du président Alassane Ouattara. (Photo: Koffi Yao)

Que renferment les notions d’identité et de démocratie en Côte d’Ivoire ? Il s’agit pour nous de confronter en tant que citoyen ivoirien deux notions que sont l’identité et la démocratie dans le contexte ivoirien afin de saisir leur intelligibilité et leur champ d’application sous divers angles. Nous situerons cependant notre analyse autour des questions d’identité culturelle et de culture démocratique. Quelle culture de la démocratie après les crises successives dans mon pays ? Peut-on arriver à faire resurgir une identité culturelle viable et vitale sans heurt après la tentative de l’« ivoirité » dans la multiplicité des origines des peuples vivant en Côte d’Ivoire, en estimant qu’il existe un champ de convergence et de coalition culturelle a minima quand des peuples qui ont peu de choses en partage sont amenés à vivre ensemble ? Tant il est vrai qu’« une société qui ne parviendrait pas à assurer un minimum de consensus entre ses membres ne pourrait se perpétuer » (Laburthe-Tolra, Warnier 2003 : 15). Pourrions-nous parler a contrario de blocage identitaire et à l’impossibilité d’une vie commune en terre d’Eburnie conduisant tôt ou tard à la séparation irrémédiable à l’instar des nations éthiopienne, somalienne et in fine soudanaise ? Nous pensons en réalité qu’il n’existe pas une panacée et un archétype dans la construction de ces deux valeurs non figées dans l’espace et le temps que sont l’identité et la démocratie ; elles sont en perpétuelle construction et le champ de notre analyse est d’en arriver à comprendre comment fonder de nouveaux paradigmes de gouvernances et de gestion démocratique des masses et du cadre de vie au gré des variantes identitaires.

Une concurrence politique guerrière et malsaine comme ferment de la culture de la violence en lieu et place de la culture démocratique.

En Côte d’Ivoire, les vingt dernières années nous ont démontré que la diversité culturelle des peuples est confrontée et opposée très souvent à dessein que naturellement par les pouvoirs politiques et les tenants de ces pouvoirs au lieu d’être intégrée et mise à contribution pour le développement du pays. « Absence d’une véritable politique d’intégration des 60 ethnies que compte la Côte d’Ivoire, et une volonté d’harmonisation des cultures sous-jacentes » (Kigbafory-Silué 2005 : 10). La concurrence politique apaisée qui devait être le soubassement de l’expression pluriel des élites du pays et des ambitions des ivoiriens quelle que soit leur origine géographique, leur religion, etc., dans le cadre d’une « démocratie participative » est devenue un casus belli et le lieu où les candidats se considérant non pas comme des adversaires politiques, mais comme des ennemis jurés à tuer ou à éliminer de façon définitive. Nous pouvons citer le meurtre du Général Guéï Robert et de sa femme, le meurtre du ministre de l’Intérieur Émile Boga Doudou le 19 septembre 2002, l’arrestation et l’assassinat ressente de l’ambitieux sergent putschiste Ibrahim Coulibaly le 27 avril 2011. La tentative d’assassinat d’Alassane Ouattara en 2002 à sa résidence de Blokosse, la tentative d’assassinat de Gbagbo Laurent lors de la grande marche du 18 février 1992, la tentative d’assassinat du premier ministre Soro Guillaume le 29 juin 2007 par des tirs de RPG7 contre son avion à l’aéroport de Bouaké, etc.

Impacts de balles sur l’édifice CCIA Abidjan Plateau lors des combats post électoraux en 2011 (Photo: Koffi Yao)

En règle générale, les candidats majeurs ou les « grands candidats » sont hors d’atteinte, ce sont les militants chauffés à blanc par ces derniers à travers leurs discours guerriers qui s’entretuent. De façon pragmatique, pour atteindre leurs objectifs de conquête du pouvoir d’État, les différents partis échafaudent ou sont tentés de créer des armées véritables entrainées aux méthodes guerrières et de Guérilla urbaine. S’ils n’arrivent pas à provoquer le renversement des institutions, ils procèdent par la corruption des cadres de l’armée qui se révèle comme une armée non professionnelle, en vue de provoquer un coup d’État ou de favoriser la chute du président en place par la force, ce qui à court terme est censé leur profiter. Ce fut notamment le cas du coup d’État visant le président Bédié en décembre 1999 et qui profitera au Front populaire de Laurent Gbagbo en octobre 2000 avec l’élimination de certains candidats majeurs à la course présidentielle. « La concurrence entre mouvements armés participe de la logique d’affirmation de la guerre comme moyen légitime de faire de la politique » (Sindjoun 2009 : 201). À l’analyse, la création de la rébellion dite des Forces nouvelles de 2002 à 2011 et sa persistance aujourd’hui encore, apparait alors, non pas comme un fait hasardeux, mais comme un processus organisé et savant, censé faire monter l’équilibre de la terreur afin d’accéder au pouvoir par usure, en affaiblissant le pouvoir politique en place et les forces de l’ordre ou les forces armées fidèles aux institutions. Depuis l’arrivée de Ouattara au pouvoir en avril 2011, les ressorts des Forces nouvelles demeurent en place, d’abord comme armée parallèle et ensuite comme la colonne vertébrale blanchie et officiellement affranchie dite des Forces républicaines de Côte d’Ivoire FRCI, seule armée possédant réellement des armes avec les Forces onusiennes et les Forces françaises. Au-delà des discours sur le démantèlement des Forces nouvelles, elles sont devenues officiellement les forces loyales, disent-elles. Nous notons une caporalisation du commandement des forces ivoiriennes par les dignitaires ou les « Commandants » des Forces nouvelles à l’instar de Ouattara Issiaka dit Wattao, Cherif Ousmane, Fofié Kouakou, Morou Ouattara, etc. Soumaïla Bakayoko l’ex-Chef d’État major des Forces nouvelles est devenu le Chef d’état-major de l’armée Ivoirienne FRCI. Ce qui donne concrètement de la Côte d’Ivoire une mosaïque de secteurs régie par les ex-chefs de guerre qui pour imposer leurs dictats y sèment parfois la terreur ou s’érigent en force policière et en pouvoir judiciaire dans des missions de faits divers dans lesquelles ils n’ont pas vocation à intervenir ; cela longtemps après l’investiture de Ouattara devant les chaînes du monde à Yamoussoukro. L’on peut percevoir clairement que Ouattara peut-être frileux au niveau sécuritaire n’est pas pressé de mettre sur la touche ses anciens « chiens » de guerre, malgré leurs nombreuses frasques antérieures et post Gbagbo. Le symbole caractéristique en est que les forces de police et de gendarmerie de formation, ont été dépossédées de toutes leurs armes et sont incapables d’accomplir leur mission régalienne. Les patrouilles sont effectuées par les Forces onusiennes pour sécuriser les populations avec un numéro vert disponible depuis le 23 octobre 2011.

Même s’il est utile de préciser que l’armée loyaliste a perdu toute crédibilité, et qu’elle s’est elle-même « déconsidérée en pratiquant des guerres internes avec coups de main et assassinats » (Jarret, Mahieu 2002 : 59), nous ne pouvons pas dire aujourd’hui que nous sommes, en Côte d’Ivoire, dans le cadre d’une démocratie quand nous assistons à la parade incessante des Forces favorables à Ouattara dans les grandes villes du pays et de la capitale. Yopougon et Abobo, les deux plus grandes communes d’Abidjan et partant de la Côte d’Ivoire sont devenues des cités de non-droit, du fait du mauvais comportement et de l’attitude criminelle des Frci.

Longtemps avant son élection, Alassane Ouattara disait dans un discours célèbre tenu devant ses partisans à Montparnasse à Paris : « On veut m’empêcher d’être candidat à la présidence de la république parce que je suis du Nord et musulman ». Ce discours d’apparence anodine est d’abord dangereux pour la cohésion nationale du pays et c’est secondement l’une des clés de compréhension du mécanisme d’affrontement prédisposé au travers des Forces nouvelles et de la crise identitaire et politique vécue par la Côte d’Ivoire. C’est un appui tacite qui cautionne et rend légitime la prise des armes en excluant les voies démocratiques et pacifiques. « Il faut en effet se garder d’opposer ici parti politique et mouvement armé, celui-là visant à la conquête du pouvoir par des moyens pacifiques, celui-ci poursuivant le même objectif avec des moyens militaires. Les exemples du Congo (1992-1997), du Burundi, de la République démocratique du Congo (RDC) et de la Côte d’Ivoire montrent qu’un parti politique peut être doublé d’une milice, permettant de jouer dans plusieurs espaces sociaux un même jeu politique » (Sindjoun 2009 : 202). Le discours ethnique de Montparnasse est pratiquement impossible dans un pays de culture démocratique (nous avons pu le percevoir au travers des candidatures d’Obama aux États-Unis ou celle de Sarkozy en France) où l’origine d’un candidat ne constituerait assurément pas un point focal de campagne électorale, mais également un motif de ralliement des masses pour le compte du candidat Ouattara ou d’exclusion réelle au profit de ses adversaires politiques. Un débat politique pourrait, de manière démocratique être occasionné pour élaguer ailleurs, loin du populisme des médias et des rues en vue de la canalisation et de la maîtrise de sa dimension nocive. Dans tous les cas, si dans un pays démocratie, un débat aussi nocif que l’« identité douteuse » d’un candidat surgissait, conduirait-il indubitablement à la guerre comme en Côte d’Ivoire ? Il est à douter d’une telle issue. En Côte d’Ivoire, aucune structure de « désamorçage » n’avait été prévue à même de s’autosaisir de la question des identités en souffrance, ce qui nous fait déduire que la culture de la démocratie, quand elle existe, ne peut se départir d’instrument viable de débat et de règlements des conflits endogènes. De fait, l’incapacité de la classe politique à instituer courageusement des régies démocratiques à même de traiter ce type de sujets a viré en une sorte de pugilat exploitable par le candidat supposé discriminé Ouattara connaissant parfaitement la composition démographique et la forte communauté étrangère de ce pays, ainsi que les ralliements possibles à sa cause ainsi tendancieusement exposée.

Les propos de Ouattara sont confortés par certains auteurs pour qui « Gbagbo avait, grâce à ses manœuvres, convaincu Henri Konan Bédié de la nécessité de protéger le pays de la domination des nordistes. Pour lui, ces derniers avaient tous les pouvoirs et Alassane Dramane Ouattara devait être la porte d’accès des dioula à l’exécutif, le seul pouvoir qui leur échappe. Pour arriver à ses fins, Gbagbo avait conseillé à Bédié de trouver un moyen constitutionnel pour barrer le chemin de la présidence à ADO » (Touré 2007 : 35). L’évocation brutale de cette exclusion avérée ou fabriquée de toutes pièces pour en tirer un profit politique peut poser le problème de la maturité d’un grand nombre de citoyens et d’hommes politiques ivoiriens incapables de trouver ailleurs des ressources de ralliement à leurs causes, mais également de la vigilance prise à défaut des masses à qui l’on veut transmettre un discours politiquement gauche et empreint d’ethnicité parce qu’elles sont supposées naïves et n’ayant pas des moyens de contrôles et de vérifications des affirmations qui produisent en son sein des scissions profondes et des ressentiments par transfèrement victimaire et par procuration et assimilation de causes. Par ailleurs, ces populations aux faibles ressources sont en règle générale intéressées ou soumises au pouvoir d’argent des leaders politiques ; elles font l’objet d’achat de consciences. « Exploitation éhontée de l’ignorance des masses populaires par les rumeurs, l’intoxication, la désinformation et le mensonge. La jeunesse maillon essentiel de la société, malléable et dynamique, fut prise en mains et conditionnée, robotisée par l’intermédiaire de la Fédération estudiantine de Côte d’Ivoire (Fesci). Conditionnés à la violence, les membres de la Fesci s’illustrèrent non seulement par les grèves qui paralysèrent l’école ivoirienne, mais eurent recours aux casses, aux agressions physiques, aux actes de vandalisme, aux « braisages » (supplice du collier) de leurs adversaires, à l’arme blanche (machette), à l’assassinat, etc. » (Kigbafory-Silué 2005 : 22). Dans un bras de fer tendu permanent et la politique de la terreur à l’échelle du pays, autant Ouattara avait et a une main mise sur la rébellion des Forces nouvelles, autant Gbagbo contrôlait la Fesci et lesdits jeunes patriotes.

De l’ivoirité à la configuration socio-ethnocentrée des identités culturelles de Côte d’Ivoire comme obstacle à la culture démocratique.

Sur l’ivoirité de nombreuses productions contradictoires ont été faites, à commencer par sa paternité. Celle-ci est attribuée à Bédié parce qu’il la reprise à son compte en 1993, lui donnant force et implémentation dans sa posture de président de la République de Côte d’Ivoire. En créant la Ligue des originaires de Côte d’Ivoire, le leader du Parti national ivoirien Pépé Paul a revendiqué l’ivoirité sous l’impulsion du président Houphouet-Boigny en 1958. L’auteur Pierre Flanklin Tavares attribue l’ivoirité au Poète Niangoran Porquet. « Gnangoran Porquet, le brillant poète de la griotique, forgera et mettra en circulation la notion d’ivoirité entendue comme concept culturel et d’opposition interne au régime de Félix Houphouët-Boigny accusé de brader à la France la souveraineté du pays-État. Cette ivoirité reprenait, re-lançait le combat antinéocolonialiste sous la forme de la lutte contre l’aliénation culturelle, sur fond de marxisme. Cette ivoirité culturelle n’avait pas rompu avec le patriotisme fraternel, mais en renouvelait seulement le contenu en le gauchisant. Il s’agissait d’un mouvement poético-politique qui s’apparentait par de nombreux points avec la négritude de Césaire. C’est l’époque où naît le Groupe de Recherche sur la Tradition Orale, le fameux GRTO cofondé par Mme Simone Gbagbo, dont le mot d’ordre était l’immersion dans le peuple. » (Tavares 2005 : 150-151)

Des analyses erronées de certains universitaires occidentaux sur le régime de Bédié abusivement tenu pour auteur d’une « éthique du mal » en rupture avec l’Houphouétisme qui a emporté son régime a été selon eux reprise par Gbagbo « la rupture est aussi alimentée sur le plan interne par la mise en cause de deux caractéristiques de Ouattara, sa religion et sa provenance géographique ; il en résulte des tracasseries pour ceux qui ont ces mêmes caractéristiques, ceux que l’on appelle les Dioulas, en fait les principaux commerçants et fournisseurs de services, notamment les transports. […] « L’ivoirité » provoque une cassure géographique, religieuse, économique de la Côte d’Ivoire, accompagnée d’une xénophobie qui met fin à son statut de petite économie ouverte. […] L’éthique du mal « l’ivoirité » conduit ainsi à la ruine du pays » (Jarret, Mahieu 2002 : 52-53).

L’analyse est basique et d’une sophistication : « si Ouattara est exclu, cela signifie que tous les peuples du nord sont exclus ». Ce syllogisme ne traduit pas non plus que même si Ouattara se revendique du Nord de la Côte d’Ivoire, son histoire personnelle n’est pas celle de l’ensemble des Mandé du nord dit dioula, musulman soit-il. Nous sommes confortés dans cette assertion par le fait des déplacements massifs des populations dites dioula et musulmanes du Nord dit musulman de la Côte d’Ivoire vers le Sud dit chrétien au début de la rébellion tout de même pro dioula en 2002. Le raisonnement qui veut que les personnes affichant les mêmes caractéristiques ethniques et religieuses que Ouattara soient soumises à des tracasseries et exactions est ainsi battu en brèche. La question est de savoir ce qui constitue alors l’équation personnelle de Ouattara en Côte d’Ivoire ? 

À la décharge de Ouattara, l’on pourrait chercher à savoir ce qui le lie véritablement à la Côte d’Ivoire et qui y justifie sa présence ou pertinence physique et politique ? Pourquoi ne parle-t-on pas de Ouattara ailleurs qu’en Côte d’Ivoire ? À cette lueur et à l’analyse, nous percevons clairement que la notion de démocratie ou de culture démocratique n’a certainement pas le même sens à Korhogo (principale ville du nord de la Côte d’Ivoire) qu’à Paris ou à Bâle, parce qu’elle préfigure d’abord dans l’esprit de nombreux concitoyens une réalité insaisissable, étrangère et occidentale ? Dans tous les cas de figure, ces notions ne surgissent pas ex nihilo, c’est également un état d’esprit et d’expérimentation de la vie après des crises, des guerres multiformes et des luttes de classes, etc. Il s’agit de notions qu’il est difficile de transposer même dans le mimétisme postcolonial en Côte d’Ivoire où tout a basculé dans le gouffre au gré d’une élection et de présupposés germes identitaires dérivant de l’ivoirité présentée comme un « concept ségrégationniste » (Touré 2007 : 19). Il ne s’agit pas non plus d’expérimenter nécessairement les guerres de classes et les luttes afin d’en arriver à la construction et à la constitution d’une véritable identité culturelle à l’ivoirienne (quelle serait-elle ?) ainsi qu’une culture démocratique. Certes, l’expérience de l’occident peut nous y conduire à cet effet, mais comment la mettre à profit ?

L’élection présidence d’octobre 2010 en Côte d’Ivoire a laissé apparaître une évidence depuis ce qui semble être la constitution artificielle de ce pays en nation. En un sens, l’accumulation de peuples sur un territoire au-delà de la nation constituée qui ne se reconnaissent pas véritablement comme compatriotes. Le résultat en est une crise culturelle et structurelle profonde et surprenante pour ceux qui percevaient de la Côte d’Ivoire un modèle, une locomotive économique très souvent mis en rapport avec le niveau de développement humain et culturel des habitants. « Comment, par exemple, ne pas souligner que, sous l’égide de Félix Houphouët-Boigny, l’État atteignit non seulement à un très haut niveau d’organisation et de raffinement internes, mais aussi, et surtout arriva à une influence internationale et mondiale qui n’avait que bien peu à envier aux appareils d’États européens. » (Tavares 2005 : 19)

Il est à savoir « comment un pays, jusqu’ici préservé des tempêtes politiques tropicales, une oasis de paix et d’équilibre dans une Afrique si souvent livrée aux dictateurs ou aux émeutiers spécialisés dans les coups d’État, a-t-il pu basculer en quelques années, sinon en quelques mois, dans le déchirement fratricide et dans les haines xénophobes ? […] Comment un pouvoir démocratique, garant de l’unité du pays, a-t-il pu laisser s’installer cette espèce de chienlit qui abandonne à des bandes, organisées ou non, la maîtrise de territoires ou le blocage de la ville d’Abidjan et la menace permanente des gens et des biens ? » (Lopez 2006 : 11-12). L’on ne pourrait percevoir de réponses aux questionnements dans l’antre d’une « possession » ou d’une folie collective subite qui se serait emparée des ivoiriens, « nous n’avons pas voulu entendre raison. Satan nous a possédé tous», disait Paul Yao N’dré le président du Conseil Constitutionnel, le 6 mai 2011 à la prestation de serment de Ouattara. Au-delà des apparences, l’unité et l’harmonie que certains percevaient en Côte d’Ivoire n’étaient que de façade ou imposées de force par le régime fonctionnant à la limite d’une dictature et d’une monarchie du premier président de la Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny qui ne se privait pas de réprimer violemment et parfois dans le sang les « égarements » de ses compatriotes. « Félix Houphouët-Boigny, toute sa vie durant, a œuvré pour construire, fortifier, sauvegarder la stabilité politique de ce pays. Malgré la fragilité foncière de cette stabilité politique, fruit d’un pouvoir autocratique, habilement servi par la dictature du parti unique, la prospérité de ce pays s’est bâtie à partir de cette stabilité politique illusoire. » (Kigbafory-Silué 2005 : 19)

L’on a souvenance également de la crise des bété du pays Guébié et des agni du royaume Sanwi qui provoqua de nombreux ressentiments qui ne demandaient que des ferments idéologiques pour resurgir. L’occasion d’ouverture de la boite de pandore est offerte par le coup d’État raté de 2002 contre le président Gbagbo, celui-ci a provoqué une onde de choc au sein de la classe dirigeante des « refondateurs » au pouvoir par des circonstances très heureuses (l’élimination des candidats Bédié et Ouattara de la course à la présidence de 2000), en leur faisant croire que dans la posture de déshérités qu’ils drainent (les héritiers politiques d’Houphouët étant Bédié et Ouattara), ils pouvaient se prévaloir désormais de celui de mal aimé des puissances occidentales qui à leurs yeux mettraient tout en œuvre pour leur spolier un pouvoir mal acquis et dont ils accusaient de façon maladive un déficit de légitimité. Gbagbo affirmait notamment que les élections présidentielles de 2000 s’étaient déroulées dans des conditions calamiteuses. Affirmation qui lui fit porter la « casquette » de « président calamiteux ». Le Front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo n’a jamais pu se débarrasser lui-même de son déficit de légitimité à la présidence de la république ivoirienne. Ce parti n’a pas non plus cherché ou réussi à mettre en place des structures démocratiques qui lui ont tant fait défaut au temps où il était dans l’opposition. Au contraire, le FPI s’est mué en pale copiste de ces prédécesseurs au pouvoir en remettant en scelle le concept de « technologie électorale » (une technique de fraude institutionnelle dont la paternité est attribuée au PDCI RDA d’Houphouët-Boigny et perpétuée par Bédié) et des hommes liges à des postes institutionnelles qui devaient lui assurer une garantie infaillible et son maintien à l’exécutif. Cette démarche a concrètement échoué parce que le Front populaire ivoirien ne contrôlait pas l’entièreté du territoire ivoirien au moment des élections d’octobre et novembre 2010, au contraire de ses adversaires du RHDP (parti scellant la réconciliation politique des « fils » d’Houphouët-Boigny, Ouattara et Bédié) qui s’ils n’affirment pas ouvertement être les parrains de la rébellion ivoirienne profitent ouvertement de ses points d’ancrage, de sa zone territoriale d’action du Centre Nord et Ouest (régions CNO) et de sa bénédiction avec des cadres transhumants aux casquettes transversales situés entre la rébellion et le RDR. À considérer le poids politique et démographique de cette région captive du RDR et du RHDP, Gbagbo était condamné à perdre ; et l’élection que la Côte d’Ivoire a vécue ne peut nullement être qualifiée de démocratique. Elle peut être interprétée comme un jeu de dupe, une véritable escroquerie politique. Il est à croire que Gbagbo savait que « les dés étaient pipés », d’où les blocages intempestifs occasionnés au sein de la Commission électorale indépendante CEI par les commissaires du FPI et sa focalisation particulière sur le rôle à jouer de Yao Paul N’dré, le président du Conseil constitutionnel et sa capacité non légale à invalider les résultats des grandes régions du Nord ivoirien sous prétexte de fraudes massives par l’enrôlement des étrangers sur les listes électorales.

À l’analyse, nous percevons nettement que la crise armée de 2002 a eu pour effet d’empêcher d’une certaine façon le FPI d’assumer seul la gestion du pouvoir. Cette crise armée qui s’est muée en rébellion fut cependant une opportunité extraordinaire exploitée à juste titre par le parti frontiste de Gbagbo pour se perpétuer au pouvoir, lui évitant d’organiser les élections d’octobre 2005 qu’il n’était pas sûr de remporter et de se maintenir ainsi au pouvoir le temps d’un mandat présidentiel de plus en Côte d’Ivoire. « Gbagbo disait à son investiture comme candidat du Fpi en octobre 2010, « ils ont voulu limiter mon mandat à deux ans, ils m’ont donné dix ans », sachant qu’un mandat présidentiel fait cinq ans.

Bâtir une identité culturelle

Comment bâtir une identité culturelle après le dévoiement et le galvaudage de l’ivoirité et de la côdivoirité ? Sur quel socle créer des paradigmes et quelles références convoquées ? Le but d’une telle action peut être de sortir l’individu de son groupe de rattachement ethnique et clanique monoculturelle pour le nouveau groupe de rattachement national incluant in fine son propre groupe. Nous notons que l’appartenance univoque au groupe-clan-ethnie-religion sans possibilités d’ouverture et de dialogue avec les autres valeurs d’une nation en construction est confligène parce que l’individu adhère à l’idée du groupe perçu lui-même comme un corps vivant constitué ou comme un seul individu pensant et agissant. À ce titre, nous avons précédemment noté l’attitude de victimisation à l’aveugle des membres du même groupe géographique et religieux que Ouattara par procuration. Une des solutions peut être de chercher à adhérer l’individu à l’idée de communauté coalisée et de nation d’essence multiculturelle ivoirienne avant tout rapport d’identification à son groupe bété, baoulé, dioula, mossi, guéré, yacouba, etc. la crise identitaire nous a fait expérimenter des situations dépassant l’entendement. Nous avons en effet à maintes reprises pu observer certaines personnes demander d’abord l’ethnie d’une personne en situation délicate afin de se positionner vis-à-vis d’elle. M. X d’ethnie dioula et du Nord de la Côte d’Ivoire a acheté un véhicule en donnant un chèque sans provision à Y. Le constat de non-approvisionnement du chèque effectué, Y porte plainte. Le policier (certainement du même groupe ethnique que Y ou d’une autre ethnie du Sud ivoirien) recevant la plainte demande à Y, qu’est-ce qui lui a pris de faire commerce avec X, tout en sachant bien que les gens du groupe ethnique de X sont des escrocs et sont abonnés aux tromperies. Un humoriste ivoirien fit également publiquement cette blague à la télévision nationale RTI : « quand tu veux faire un commerce et qu’un dioula s’y associe, il faut en sortir». Au sens clair, il ne faut pas faire des affaires avec les dioula considérés comme de fins commerçants et des hommes d’affaires portés naturellement sur le profit au détriment du partenaire. Quoi de plus naturel !

Si nous avions pensé que la jeunesse de la nation Côte d’Ivoire rendait encore difficile l’appartenance à l’idée de communauté nationale au profit des tribus traditionnelles précoloniales et groupements ethniques, nous sommes immédiatement portés à en douter quand nous percevons les cas les plus anciens de situations identitaires en délicatesse avec les nations ou les États constitués, même en Occident. Nous pouvons mentionner les cas de la Corse en France, du Pays Basque en Espagne, celui des Flamands et des Wallons en Belgique, etc.

En guise de solution, l’exemple des États-Unis d’Amérique peut-il apporter une alternative à la Côte d’Ivoire ? Les États-Unis d’Amérique ont ceci en commun avec la Côte d’Ivoire que ce grand pays a aussi connu une guerre nationale. Reste à comprendre les ressorts qui ont permis aux États-Unis d’Amérique de bâtir une nation solide et viable au-delà des différences identitaires et culturelles qui caractérisent ses habitants de souches récentes, hormis les tribus indiennes. La particularité des États-Unis d’Amérique en tant que nation indépendante et qui pourrait constituer un exemple à suivre en Côte d’Ivoire est pour l’auteur Kigbafory-Silué « la prise en compte absolument prioritaire de l’intérêt national exclusif. Tous les autres pays développés, respectant la même logique, sont également guidés par le même impératif. La primauté absolue de l’intérêt national sur toutes les autres considérations. » (Kigbafory-Silué 2005 : 15). Notre question première à la lecture d’une telle assertion est de savoir si les Forces nouvelles qui ont assiégé plus de la moitié du pays neuf ans durant en laissant péricliter la totalité des infrastructures économiques des zones occupées, ont-elles pensé a l’intérêt national ?

Le président Laurent Gbagbo s’accrochant de son côté vaille que vaille au pouvoir a-t-il agi au mieux pour l’intérêt de son pays ? N’aurait-il pas mieux fait de démissionner que de se considérer comme le messie inamovible sans qui le pays serait réduit en cendre ?

Résidence universitaire « Cité Rouge », bastion des « Jeunes Patriotes » partisans de l’ex-président Gbagbo Laurent. (Photo: Koffi-Yao)

La crise ouverte en Côte d’Ivoire, de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle en décembre 2010 à la capture physique du président Laurent Gbagbo en avril 2011, fut de loin la plus meurtrière et la plus destructrice. Les parties prenantes dans cette guerre à plusieurs équations ont-elles agi au mieux pour l’intérêt du pays qu’elles aspirent gouverner ? En réalité, nous ne le pensons pas. Au contraire, tous, qui qu’ils soient ont agi pour leurs propres intérêts. C’est sûrement cela toute la différence qui éloigne un pays comme la Côte d’Ivoire de la prospérité et au statut de pays développé. Cette différence réside en outre dans l’idée de la sublimation de l’identité culturelle sur tout autre intérêt, y compris celle de se considérer comme membre entière d’une nation à défendre au péril de sa propre vie, quel que soit le leader politique défendu ou admiré. C’est la mention d’une culture démocratique qui dicte qu’on accepte aussi la victoire de l’adversaire qui ne saurait être un ennemi, mais un compatriote, un frère, qui peut lui aussi apporter sa part à l’édification de la nation ivoire. L’acceptation d’intégrer une identité culturelle pour celui qui appartient à une autre ou même pour celui qui accepte de vivre dans son antre temporellement ou définitivement, c’est accepter les lois et règles qui régissent la communauté concernée à laquelle il veut appartenir. Dans ce sens, nous nous accordons sur le fait qu’« une culture n’uniformise pas simplement ses membres, elle définit des situations et actions par rapport auxquelles elle prohibe ou bien permet, voire encourage même des déviations : que ce soit en différenciant les rôles accordés aux uns ou refusés à d’autres, ou bien simplement en tolérant des différences individuelles dans la mode, dans l’imagination ou le style. En d’autres termes, une culture semble avoir besoin à la fois d’uniformité et d’individualité, quoiqu’à des degrés divers. » (Boesch 1995 : 63) 

En entendant le vote des hommes d’une même nation

Malheureusement aujourd’hui, l’identité culturelle et la culture démocratique sont en souffrance en Côte d’Ivoire. Nous en sommes réduits à l’affirmation et à l’exacerbation des identités ethniques. Une des résultantes de la crise en est la conformité aveugle des choix des citoyens lors des joutes électorales aux origines ethniques des candidats. Une configuration socio-ethnocentriste ou ethnocentralisée des peuples qui sublime l’idée d’une maturation du vote et d’une analyse poussée des propositions politiques faites et de la valeur intrinsèque des candidats dans un contexte dit démocratique et qui en réalité ne l’est pas ou est sapé à sa base. Dans le cas d’espèce, en dehors des candidats dits « mineurs », trois candidats se sont partagé respectivement le vote des électeurs et celui-ci ne s’est jamais départi de la question ethnique. Ainsi, le candidat baoulé Henri Konan Bédié a fait le plein de voix dans le « V » baoulé, le candidat dioula Ouattara Alassane s’est arrogé de façon insolente les voix des électeurs de sa région du Nord constituée en majorité de concitoyens dioula et de croyance musulmane. Le candidat bété Laurent Gbagbo a profité dans une moindre mesure des voix ethniques de l’Ouest ivoirien, notamment du pays bété dont il est issu et de celles des grandes communes d’Abidjan, à l’instar de la cité populaire de Yopougon de peuplement majoritairement bété, mais également dida et guéré (autres peuples de l’Ouest ivoirien). Contrairement aux deux autres « grands », le handicape de Gbagbo dans le partage tribal des voix des électeurs est que la région bété est une région de forte immigration et les votants non bété, c’est-à-dire allochtone baoulé et ivoirien d’origine burkinabé et malinké habitant en grande majorité cette région faussent objectivement le choix à vocation ethnique des autochtones. Cette réalité sociologique d’affirmation des données ethniques intégrées dans le substrat des populations crée perpétuellement des ressentiments et des tensions dans cette zone géographique dans la mesure où les bété en sont arrivés à se considérer comme envahis, et à s’estimer comme étrangers et minoritaires dans leur propre fief quant à la désignation lors des élections des élites dirigeantes dans leurs villes et communes qu’ils ressentent comme travestie et subodorée aux choix ethniques des « étrangers » votants. Ce qui, disent-ils n’est pas réciproque chez ces « étrangers » ; le bété n’étant pas en règle générale un peuple de migrateurs en Côte d’Ivoire. En réalité, la frustration des bété relève de la configuration démographique des différents groupes ethniques du pays. Et celle-ci n’est pas démographiquement démocratiquement constituée, à l’instar de nombreux assemblages nationaux de groupements ethniques en Afrique au Rwanda, au Burundi, etc. Les bété et groupes ethniques apparentés du groupe Krou sont objectivement et sociologiquement minoritaires en Côte d’Ivoire, situés à 11 % de la population, à comparer aux Akan (baoulé) et aux Mandé du Nord (dioula) qui à eux seuls constituent plus de 58 % de la population ivoirienne. Si nous ajoutons à ce groupe l’importante population étrangère essentiellement vénus du Mali et du Burkina Faso dont partie est naturalisée depuis peu nous en sommes à plus de 76 % ; or, il est coutume de considérer les néo-ivoiriens comme un « réservoir captif » de votants naturels pour le RHDP (alliance politique du Rassemblement des Républicains RDR de Ouattara et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire de Konan Bédié (partie politique le plus encré en Côte d’Ivoire du fait de l’aura et du coefficient personnel de son créateur le président Houphouët-Boigny). Les frustrations et le sentiment d’ostracisme à la majorité ethnique ne peuvent être que plus grands du côté du clan Gbagbo qui estime que le jeu démocratique est tronqué.

Doit-on instituer une élection au prorata de la représentativité des groupes ethniques en Côte d’Ivoire si nous minimisons le jeu des alliances ? Cela est impossible. Il faut préciser qu’au-delà de la clanisation des votes, Gbagbo a plus ou moins réussi à nouer des alliances avec les ethnies abbè, attié et partiellement avec les agni qui appartiennent au Groupe Akan dont fait aussi partie les baoulé dits pro-Bédié, du fait de la tactique des nominations abondantes des cadres de ces régions dans les différents gouvernements et à la tête d’institutions d’envergures sous son mandat. Le désapparentement politique des abbé et attié du Pdci, parti majoritairement akan, est historiquement justifié du fait des déboires qu’ont rencontrés certains hauts cadres de ces régions à l’instar d’Ernest Boka (abbé) vis-à-vis du l’ex pouvoir PDCI. L’on peut mentionner les ressentiments agni en raison de la crise du Sanwi qui a laissé des traces dans la mémoire de ce peuple.

La notion de démocratie telle qu’elle est vécue en Occident comme modèle de progrès social et culturel est-elle in fine applicable en Côte d’Ivoire au stade de son développement et du façonnement, non pas de son identité culturelle, mais de ses identités culturelles ? Les habitants de la « Côte d’Ivoire actuelle » (sait-on jamais ?) ont en effet été regroupés dans un État par les découpages coloniaux, mais ils demeurent profondément désharmornisés et divisées, en opposition, en désaccord et en conflit permanent quant à leur mode d’installation plus ou moins ancien, leur mode de fonctionnement en contexte précolonial, puis en contexte postcolonial. Si d’un côté, l’homme bété se considère comme le plus ancien et authentique ivoirien, l’homme dioula lui se considère à tort ou à raison comme exclu et traité d’étranger. En Côte d’Ivoire, a-t-on souvent entendu certains peuples dire, qu’après les présidents Félix Houphouët-Boigny (1960-1992) et Henri Konan Bédié (1992-1999) d’ethnie baoulé, « place à une autre ethnie », « c’est à notre tour », comme s’il s’agissait d’une « tournante » ethnique à l’occupation du fauteuil présidentiel. De fait, après le « règne » du Général-président Robert Guéï (décembre 1999-octobre 2000) et le mandat « rallongés » pour cause de guerre de Laurent Koudou Gbagbo (octobre 2000-avril 2011), les peuples du Nord de la Côte d’Ivoire ressentaient plusieurs strates de frustrations. Les partisans d’Alassane Ouattara estimaient que cumulativement, seuls des chrétiens et « sudistes » étaient auparavant arrivés à la tête du pays. Pour eux, après la paire représentative du grand groupe ethnique Akan constitué des baoulé Houphouët et Bédié, après celle représentative du Sud-Ouest groupe Krou et Mandé du sud constitué du bété Gbagbo et du yacouba Guéï ; pour boucler la chaine de commandement du pays, était arrivé le tour des gens du Nord. S’ajoute à cela une revanche personnelle de Ouattara sur son rival et frère ennemi Bédié dans le duel dit des héritiers qui les oppose depuis le début d’ascension politique du premier en 1990. Pour les citoyens ivoiriens du « Grand Nord », selon les termes d’une deuxième charte du Nord opportune, s’autoprévalant d’un ostracisme et d’un sentiment d’exclusion induits disent-ils, par une certaine ivoirité écartant de la gestion du pouvoir d’État « les porteurs de boubous » (Kouakou 2006 : 9). Dès lors, pour les dioula, aucun compromis n’était plus possible, seule une personnalité du Nord majoritairement musulman et dioula pouvait succéder à Laurent Gbagbo le quatrième président de la Côte d’Ivoire indépendante afin d’équilibrer le phénomène d’enrichissement, de développement induit et tacite des peuples et des régions d’où le président est originaire. De même, en Côte d’Ivoire aucune nomination n’est fortuite, étant donné que les peuples tiennent en arithmétique le facteur ethnique des personnes nommées aux postes de responsabilité sans égard véritable pour leur compétence et leur métier. Il ne suffit pas et il ne s’agit pas seulement d’être un ivoirien talentueux, l’ethnie tient un caractère primordial. Il est suggéré l’indexation du facteur géopolitique dans la désignation des personnalités aux postes de gestion pour créer des équilibres parfois artificiels et sans objectiver le résultat attendu. Depuis l’entame de la gestion d’Alassane Ouattara, nous entendons dire « encore un dioula » à chaque nomination importante à une direction générale, à une ambassade d’un État prééminent. La culture démocratique est elle pour la Côte d’Ivoire ? La notion même de démocratie à tout cran n’est-elle pas finalement un facteur d’explosion sociale, vu que son exercice est chaque fois l’occasion de trouble et d’opposition des composantes ethniques dans de nombreux pays d’Afrique qui n’ont pas suffisamment intégré le facteur nation ? Comment pourrait s’exprimer en contexte ivoirien l’affirmation de la culture démocratique eu égard aux identités culturelles ? Quelle formation pour l’élite ivoirienne aux ressorts de la culture démocratique ? Une des contradictions en Côte d’Ivoire est que les amalgames et les plus graves aberrations porteuses de division entendues lors des joutes électorales ou politiques sont proférés par des « intellectuels » et non par ledit petit peuple. Le « système du mensonge d’État de nos gouvernants et leur irresponsabilité politique » (Kouakou 2006 : 17). Ceci nous amène à indexer la duplicité et les confusions idéologiques des intellectuels et gouvernants ou leur insuffisance en matière de culture démocratique. Laurent Gbagbo disait « le fauteuil présidentiel n’est pas un banc ! », nous en sommes à nous demander, à juste titre d’ailleurs, si la solution en Afrique et notamment en Côte d’Ivoire ne serait pas que le fauteuil présidentiel soit finalement un canapé, afin d’y asseoir ensemble les candidats ou présidents des grands partis pour une gestion concertée, harmonieuse et respectueuse des intérêts des uns et des autres et partant des intérêts du pays dans son entièreté ?

Bibliographie

BOESCH Ernest, L’action Symbolique : fondement de psychologie culturelle, Paris Éditions l’harmattan, 1995, 519p.

JARRET Marie-France, MAHIEU François-Régis, La Côte d’Ivoire. De la déstabilisation à la refondation, Paris, Éditions l’Harmattan, 2002, 144p.

Kigbafory-Silué Joachim, Côte d’Ivoire nation chrysalide, Abidjan, Éditions Puci, 2005, 175p

KOUAKOU Gbahi kouakou, Le peuple n’aime pas le peuple. La Côte d’Ivoire dans la guerre civile, Paris, Éditions Gallimard, 2006, 192p.

LABURTHE-TOLRA Philippe, WARNIER Jean-Pierre, Ethnologie Anthropologie, Cahors, Éditions PUF, 2003, 436p.

LOPEZ Robert, Au temps banni d’Houphouët-Boigny, Paris, Éditions l’Harmattan, 2006, 277p.

SINDJOUN Luc, in Nouveau manuel de science politique, collectif, Paris, Éditions La Découverte, 787p.

TAVARES Pierre Franklin, Sur la Crise ivoirienne. Considérations éparses, Abidjan, Éditions NEI, 2005, 166p.

TOURE  Bacary, Côte d’Ivoire. Violence d’une transition manquée, Paris, Éditions l’Harmattan, 2007, 232p.

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